Fascistes, vraiment, les réunions non mixtes ?
- 20 avril 2021
TRIBUNE. Isabelle Thomas, ancienne vice-présidente de l'Unef
Le ministre de l'Education, Jean-Michel Blanquer, a affirmé, vendredi 19 mars, que les réunions "en non-mixité" organisées par l'Unef pouvaient mener à "des choses qui ressemblent au fascisme". Dans ce contexte, Isabelle Thomas, ancienne vice-présidente de l'Unef, s'indigne de ces propos et exhorte le ministre à prendre en compte la souffrance des étudiants victimes de racisme.
Je ne suis pas une adepte des réunions non mixtes. Cette méthode, débattue et expérimentée par les féministes dans les années 1970 pour libérer la parole des femmes contre la domination masculine, m'a toujours interrogée mais jamais convaincue. Personnellement, je préfère l'émancipation dans la confrontation directe avec le dominateur. Et ce quelles que soient les formes de domination : genre, origine, religion ou classe sociale. Ce n'est qu'une opinion qui, à ce titre, ne prétend en aucun cas proclamer le bon moyen de se libérer de ses chaînes.
Je suis pourtant convaincue que si des jeunes, victimes de racisme, expriment le besoin d'organiser des groupes de parole non mixtes sur les discriminations qu'ils subissent, on peut en déduire que la situation est vécue comme insupportable. Monsieur le ministre de l'Education, ce que vous devriez qualifier d'"extrêmement grave" et de "condamnable", c'est l'oppression que subissent ces jeunes du fait de leur position minoritaire et le cortège de souffrances et d'injustices qu'elle engendre. Ce dont vous devriez vous inquiéter avant toute chose, c'est l'étendue des dégâts que le racisme provoque dans la société française et particulièrement au détriment de la jeunesse.
Monsieur le ministre, n'essayez pas de nous faire prendre les victimes pour les bourreaux. Outre cette inversion des valeurs, vous avez commis plusieurs entorses à ce que devrait être la déontologie de votre ministère et à la République qui vous sert de bouclier.
En premier lieu, c'est le refus d'exprimer la moindre solidarité à l'égard des centaines de milliers de jeunes opprimés parce que minoritaires. La notion de fraternité, pilier de notre devise républicaine, vous aurait-elle abandonné ? L'absence de reconnaissance envers ses victimes équivaut à la négation même du racisme.
Ensuite, c'est d'avoir injurié l'Unef en utilisant le terme "fascisme", renvoyant de manière inacceptable un syndicat qui défend les étudiants et la démocratie depuis plus de cent ans à une idéologie politique responsable des pires moments de l'histoire. Quels que soient les désaccords, aucun ne justifie les menaces ni les injures. L'intensité de votre indignation à l'égard de l'Unef est inversement proportionnelle à votre implication pour lutter contre la misère en milieu étudiant. Le contenu des tracts de l'Unef vous émeut plus que les files de jeunes à la soupe populaire. Honte à vous, monsieur le ministre !
Personne ne peut croire que cette confusion inacceptable entre l'Unef et le fascisme relève d'une exagération brouillonne ou d'un manque de culture politique. Pas plus que personne ne peut croire qu'inverser les causes – le racisme – et les effets – les réunions non mixtes – proviendrait d'une erreur d'analyse.
Alors que faut-il voir derrière cette violence contre une organisation syndicale ? Ces campagnes médiatiques, choquantes à l'heure où la pandémie plonge le pays en plein chaos, seraient-elles simplement destinées à dessiner une nouvelle carte du territoire politique à un an de l'élection présidentielle ? A l'instar d'autres membres du gouvernement, vous glissez dangereusement sur la pente idéologique de la droite extrême. L'Unef a survécu aux zélotes de la guerre d'Algérie, à la répression policière de Pasqua, elle n'aura pas de mal à survivre à vos foucades. Elle vivra au-delà de votre ministère, et c'est bien l'essentiel.