Les femmes, la pandémie et la déprogrammation des soins
- 5 avril 2021
Le docteur Paul Robel est médecin généraliste, responsable d’un centre de vaccination anti-Covid à Sarzeau (Morbihan). Nous le remercions de nous avoir autorisé à publier le témoignage ci-dessous, qu’il a livré lors d’un meeting le 8 mars dans le cadre de la journée internationale pour le droit des femmes.
L’incurie du gouvernement dans sa gestion de la pandémie de Covid-19 s’étale au grand jour depuis plus d’un an que celle-ci dure. Les femmes en sont les premières victimes.
Elles sont moins mortes du Covid que les hommes, essentiellement parce qu’elles sont en moyenne moins porteuses de comorbidités que ceux-ci, et aussi pour d’autres raisons encore mal élucidées. Mais quand on aura les vrais chiffres des résidents laissés mourir seuls du Covid en EHPAD, où les femmes sont largement majoritaires, cette différence devrait diminuer. Mais les décès, si dramatiques soient-ils, ne rendent pas compte à eux seuls des conséquences de la pandémie.
Les métiers à majorité féminine sont particulièrement exposés à la contagion : dans la santé, internes et jeunes médecins, infirmières, aides-soignantes, ASH, employées des EHPAD, et aussi les employées des grandes surfaces et autres commerces restés ouverts, aides à domicile, dans l’enseignement, j’en oublie sans doute.
Plusieurs études médicales ont mis en évidence le lourd tribut psychique payé tout particulièrement par les femmes : « Elles vivent une grande précarité sociale qui leur fait craindre de ne pas pouvoir faire face à leurs obligations financières, ce qui a des répercussions majeures sur leur santé physique et mentale » selon une enquête de référence publiée au Québec fin décembre. S’y ajoute l’inquiétude pour les enfants, la difficulté à concilier télétravail et la classe à distance…Les psychiatres alertent sur la montée en force des troubles anxieux, des dépressions, et ce sont les femmes qui en souffrent le plus.
Ce sont aussi les retards de soins qui font et feront toute la gravité de la pandémie. Le manque de lits d’hospitalisation conventionnelle et de réanimation, qui ont été encore déminués depuis un an que dure la pandémie, a fait que beaucoup de soins ont été déprogrammés. Le retard n’a jamais été rattrapé, et une fois encore on déprogramme massivement depuis quelques semaines en prévision d’une 3° vague. Les conséquences en seront lourdes dans toutes les disciplines médicales où le temps presse, tout particulièrement en cancérologie. L’Institut Gustave Roussy, centre de cancérologie de pointe, estimait que pour la seule première vague le retard de soins allait entraîner une surmortalité de 2% tous cancers confondus, et il précisait « dans la plupart des autres hôpitaux, les soins en cancérologie ont été écrasés par les soins en infectiologie » pour le Covid.
Une étude internationale portant sur 1,3 millions de malades a quantifié les conséquences de ces retards de soins : un retard de soins de 4 semaines entraîne un sur-risque de décès d’environ 10%. Et cette surmortalité augmente avec l’allongement des délais. Elle passe à 17% pour un retard de 8 semaines d’un traitement chirurgical de cancer du sein, et à 26% pour 12 semaines. Et pour les survivantes ce retard signifie des soins plus lourds et un risque accru de récidive.
Le dépistage du cancer colorectal concerne aussi bien les hommes que les femmes, mais les autres cancers où un dépistage est organisé sont féminins : cancers du sein et du col utérin. Le lancement du dépistage organisé du cancer du col, visant à le rendre accessible pour un plus grand nombre a été directement impacté par la pandémie : dans mon département les réunions locales en direction des médecins et sage-femmes pour les mobiliser n’ont pas pu se tenir. Le programme est en panne.
Pour le cancer du sein, le taux de participation au dépistage n’était que de 50,2 % des femmes éligibles en 2010 dernière année ou Santé Publique France a publié des chiffres complets. La difficulté accrue à avoir un RV de mammographie, la crainte d’attraper le Covid en s’y rendant, n’ont pu qu’aggraver ce résultat déjà médiocre. Ce sont les femmes de milieu ouvrier qui sont les moins dépistées selon ce même organisme : « les aspects financiers demeurent importants et il reste des inégalités sociales de dépistage marquées pour le cancer du sein ». Or Le cancer du sein évolue vite, surtout chez les femmes jeunes, chaque mois compte.
Alors que les femmes enceintes sont à risque de formes graves de Covid, d’hospitalisation, d’admission réanimation, de ventilation invasive, et pour leur enfant de prématurité, elles ont été exclues du programme de vaccination sans aucune justification médicale, ce qui a entraîné la protestation de la Société savante des gynécologues et obstétriciens de France.
Incurie du gouvernement sur les masques les premiers mois, puis pour les tests, puis les vaccins et tout du long de la pandémie pour les retards de soins, tout le monde est frappé, mais les femmes en sont les premières victimes.
Docteur Paul Robel