Fédération de la Haute-Vienne de la Libre Pensée

Les frontières tuent !

  • 20 juin 2023

    Les frontières tuent !

    Une nouvelle tragédie a fait des centaines de morts, le 14 juin, en Méditerranée qui devient un véritable cimetière de migrants. En 2022, 3 800 personnes y ont perdu la vie et 1 166 depuis le début de cette année. Pour répondre à ces drames répétés, les pays européens (Grèce, Italie, France, Grande Bretagne...) n'ont d'autre politique que de fermer un peu plus leurs frontières, construisant des murs, refoulant les arrivants, accélérant les expulsions, dépensant des milliards pour externaliser la gestion des flux migratoires. Ces pratiques indignes et inhumaines doivent cesser. Seul un accueil digne et bienveillant doit être mis en œuvre pour donner à tous ces réfugiés qui fuient les dictatures, les guerres, la misère, l'espoir d'une vie meilleure. Vous trouverez ci-dessous deux extraits d’articles de presse à ce propos.

    Gérard del Pozo.

     

    "Ils étaient 750 à s'entasser sur un chalutier décrépit, partis de Libye, les hommes sur le pont, les enfants et les femmes dans la cale (...) Aucune femme ni aucun enfant ne figure parmi la centaine de rescapés. (...) Au moins 500 disparus. Le pire naufrage depuis 2016. (...)

    Les patrouilles de Frontex surveillaient le bateau et le savaient en détresse. La marine grecque jure lui avoir proposé son aide, qu'il aurait refusée, alors que le droit maritime lui imposait de monter à bord pour l'assister. (...) "Avec plus de 20 000 morts enregistrés depuis 2014, je crains que ces décès aient été normalisés", disait en avril, déjà, le patron de l'Organisation internationale pour les migrations de l'ONU. Le droit maritime qui oblige à porter secours aux naufragés, est de plus en plus bafoué. (...) Les dirigeants libyens sont payés par l'Europe pour empêcher les migrants de partir et par les passeurs pour les laisser filer. Un accord à 1 milliard d'euros est en passe d'être conclu entre l'UE et la Tunisie, qui pourrait être tentée de faire de même.

    La non-assistance à personne en danger devient banale dans l'Union européenne. En France, cinq militaires ont été mis en examen pour ce motif, le 25 mai à Paris, dans l'enquête sur le naufrage d'un canot dans la Manche le 24 novembre 2021, emportant 27 passagers, des Kurdes irakiens, âgés de 7 à 46 ans. (...)

    Les droites d'Europe passent des accords de gouvernement avec l'extrême droite ou pompent son programme qui, de toute éternité, raconte que l'étranger est l'ennemi. Les opinions ont fini par y croire. Les migrants sont condamnés d'avance. Quand ils prennent la route pour fuir la misère et la guerre, ils sont rackettés et esclavagisés, avant de finir noyés."

    (Le Canard enchaîné – Jean-Michel Thénard 21/06/2023).

     

    "Face à l'ampleur du drame, les autorités grecques ont annoncé trois jours de deuil national. (...) Mais ces effets d'annonce dits de "réaction" ne suffisent plus. Il est temps d'agir, de ne plus se contenter de compter les morts et de les regretter ensuite, comme si les politiques mises en place n'avaient pas contribué à faucher des vies dont on ne voulait pas, au prétexte que leur origine, leur couleur de peau ou leur religion ne convenait pas.

    L'exemple de l'accueil mis en place pour les ressortissant.es d'Ukraine, fuyant leur pays et l'agression russe qui ravageait leur quotidien, en est l'illustration.

    Comment a-t-on pu, en un rien de temps, organiser l'accueil de plusieurs millions de personnes en Europe, déclenchant au passage une protection temporaire leur permettant de circuler librement et gratuitement et d'obtenir une autorisation provisoire de séjour dans les différents pays d'accueil, comme la France, mobilisés pour organiser cet accueil à l'échelle européenne ? Pourquoi une telle politique d'accueil ne pourrait-elle pas être transposée pour d'autres nationalités et d'autres profils, que l'on préfère laisser mourir en mer et sur les routes migratoires, sans trop avoir d'états d'âme ?

    De l'indignation à l'indifférence générale.

    Difficile de ne pas se souvenir de la vive indignation qu'avait suscitée la mort du petit Alan Kurdi, dont le corps avait été retrouvé sans vie, couché face contre terre, sur une plage en Turquie en 2015. A l'époque, nombre de personnalités politiques s'étaient emparées de ce drame et avaient partagé leur émotion, à l'heure où l'Europe était confrontée à l'arrivée de nombreux Syriens et Syriennes qui fuyaient la guerre.

    Début 2023, pourtant, nos révélations concernant une fillette, dont le corps a été retrouvé dans la même position qu'Alan Kurdi sur une plage de Kerkennah, une île au large de Sfax, ont davantage suscité l'indifférence générale qu'une remise en question des politiques migratoires de l'UE et des pays tiers, Libye, Tunisie, Maroc ou encore Turquie, chargés de protéger ses frontières, alors qu'ils bafouent régulièrement les droits de leur propre population, et à fortiori des migrant.es.

    (...) Depuis des mois, la morgue de l'hôpital de Sfax croule sous les cadavres, lorsqu'ils ne sont pas abandonnés en mer ou sur les plages et retrouvés par des pêcheurs. Les départs depuis la Tunisie n'ont jamais atteint un tel niveau. Le pays est désormais la principale porte d'entrée pour l'Europe (...)

    La mer a cela de pratique qu'elle peut "avaler" les corps et cacher au reste du monde ce qui se résume à une tuerie de masse, s'agissant de victimes dont la vie a finalement moins de valeur que d'autres (...)

    (...) La Grèce est régulièrement accusée de refouler des migrant.es en mer, pouvant ainsi leur faire craindre, derrière une aide supposée, d'être en réalité éloigné.es du territoire - une pratique illégale au regard du droit international maritime et de la Convention de Genève, qui doivent permettre à toute personne en situation de détresse d'être secourue et acheminée vers un port dit "sûr" et de pouvoir, si elle le souhaite, déposer une demande d'asile dans le pays qu'elle tentait de rallier.

    (...) Malgré tous ces drames, l'Union européenne, et en particulier la France, s'entête à maintenir une politique aux effets dévastateurs, sans songer à repenser la politique européenne en matière de migrations et d'asile pour permettre à celles et ceux qui fuient leur pays de rejoindre l'Europe en sécurité (...). "C'est ce qui ressort de la dernière version du Pacte européen pour l'asile", appuie la représentante d'EuroMed Droits. "On est toujours plus dans l'externalisation des frontières, avec la gestion de ces dernières, accordée à des pays tiers". (...)

    Nos propres dirigeants s'enfoncent de leur côté dans une surenchère politique et médiatique visant à laisser entendre que l'on accueillerait "trop" - en oubliant de préciser une réalité encore trop ignorée : la majorité des déplacements de population se fait à l'intérieur d'un même pays ou d'un même continent. (...)

    En France (...) depuis la rentrée dernière et l'annonce d'un nouveau projet de loi sur l'immigration, la droite et l'extrême droite, comme l'exécutif à plusieurs reprises, ont nourri l'amalgame entre étrangers et insécurité, voire délinquance. L'unique mesure présentée comme "de gauche", bien qu'elle puisse être perçue comme utilitariste, visant à régulariser des personnes en situation irrégulière lorsque ces dernières remplissent certaines conditions et travaillent dans un métier dit "en tension", a suscité l'indignation de nombreuses personnalités politiques, qui préfèrent sans doute continuer de profiter d'une main d'œuvre corvéable à merci (...).

    Ici comme ailleurs, le naufrage au large de la Grèce vient démontrer combien les migrant.es sont et resteront instrumentalisé.es sur le plan politique, tantôt pour détourner l'attention des urgences qui secouent un pays - chômage, pauvreté, inflation, inégalités sociales -, tantôt pour trouver une monnaie d'échange avec des pays européens qui préfèrent garder leurs portes fermées et sont prêts à débourser gros pour que d'autres endossent le rôle de vigie."

    (Nejma Brahim – Médiapart 16/06/2023)