Milliardaires, journaux, radios, télévisions, formatage des opinions, extrêmes droites et démocratie…
- 20 novembre 2024
Vaste débat annoncé par ce titre à rallonge ! Un débat commencé dernièrement dans une réunion des libres penseurs de Haute-Vienne à propos du résultat des élections aux Etats-Unis. Une discussion nécessaire, émaillée de constats ahurissants : les 2 candidats Donald Trump et Kamala Harris ont reçu pas moins de 2,5 milliards de dollars à eux deux, principalement de donateurs très fortunés, comme Elon Musk l’homme le plus riche du monde, n°2 du futur gouvernement et patron du réseau « social » X, ex-twitter !
Grossièretés, insultes, menaces, mensonges, racisme débridé, apologie des complotistes, des évangélistes…, ont été le carburant pour les interviews et les meetings de celui qui a été finalement élu. Comment une partie de la population américaine même conditionnée et formatée par des mois et des mois de pilonnage de tels discours a-t-elle pu finalement soutenir les outrances d’un milliardaire, raciste, misogyne et complotiste ?
Et en France, est-il possible qu’une telle situation délirante se dessine pour l’avenir, que l’opinion publique soit à son tour façonnée par les médias des milliardaires véhiculant de plus en plus les idées d’extrême droite, l’exclusion, le rejet de l’autre ?
Nous nous sommes interrogés et avons souhaité continuer ce débat en rédigeant un article pour ce supplément bimensuel à La Pensée Libre. Compte tenu de la somme des aspects à traiter, celui-ci est un numéro double (4 pages). Il se propose d’énoncer des faits, de poser des questions afin que vous lectrices et lecteurs, puissiez donner aussi votre point de vue sur ces sujets cruciaux. En souhaitant donc vous lire prochainement.
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En France, qui sont ces milliardaires détenteurs des médias ?
Ils se présentent comme des sauveurs. Venus du BTP, de l’armement, du luxe ou de la téléphonie, dix milliardaires ont pris le contrôle d’une grande partie des médias français et parmi eux :
Vincent Bolloré
Sa fortune est estimée à 10 milliards de dollars. Vincent Bolloré a investi dans plusieurs secteurs industriels. Depuis 2012, et sa prise de pouvoir à la tête de Vivendi, il collectionne les médias (Canal Plus, CNews, C8, Europe 1, le JDD, Paris Match…). Il détient aussi 74 % du marché des manuels scolaires.
Daniel Kretinsky, l’homme de l’énergie
Avec une fortune de 9,2 milliards de dollars, Daniel Kretinsky a démarré en investissant dans les mines et les centrales à charbon en Europe de l’Est. L’homme d’affaires s’implante dans les médias français à partir de 2018 : il détient désormais les magazines Elle, Télé 7 jours, Franc-Tireur ou encore Marianne.
Bernard Arnault, le plus riche parmi les riches
Avec sa fortune de 238,5 milliards de dollars, le PDG et actionnaire majoritaire du groupe de luxe LVMH est le plus riche parmi les riches. Il possède les journaux Le Parisien et Les Echos, Paris Match, la revue Connaissance des arts, le site Investir ainsi que Radio Classique.
Rodolphe Saadé, la force montante
Depuis novembre 2017, il est à la tête du groupe CMA CGM, l’une des plus grosses compagnies maritimes, dont sa famille détient 73 % des parts. La fortune du chef d’entreprise s‘élève à 41,4 milliards de dollars. Il a racheté La Provence et La Tribune, est entré au capital de Brut et a des parts dans M6.
Mais derrière ces premiers de cordée nous devons citer aussi : Serge Dassault (Le Figaro), François Pinault (Le Point), Patrick Drahi, principal actionnaire de SFR (Libération, L’Express, BFM-TV, RMC), Xavier Niel, patron de l’opérateur de téléphonie Free et 11e fortune de France, qui s’est associé avec Pierre Bergé, héritier du couturier Yves Saint-Laurent, et avec le banquier Matthieu Pigasse, pour devenir propriétaire du groupe Le Monde (L’Obs, Télérama, La Vie...). Matthieu Pigasse possède également Radio Nova et l’hebdomadaire Les Inrocks. Martin Bouygues, 30e fortune de France, est propriétaire du groupe TF1. La famille Mohn, qui contrôle le groupe allemand Bertelsmann est propriétaire de M6, RTL, Gala, Femme actuelle, VSD, Capital.
Viennent ensuite Arnaud Lagardère, propriétaire de Virgin radio, RFM, Télé 7 jours, et Marie-Odile Amaury, qui possède L’Equipe (et dont le groupe est, par l’une de ses filiales, organisateur du Tour de France notamment). Cette concentration des médias dans les mains de ces fortunés et défenseurs de l’ordre établi pose de nombreuses questions. Est-il sain qu’une si grande part de la presse appartienne à quelques personnes, richissimes, faisant partie d’une caste de privilégiés ? Poser la question c’est y répondre.
Est-il normal que les principaux médias de notre pays soient entre les mains de marchands d’armes, d’entreprises du luxe, du BTP, de la téléphonie, de banquiers ou de fabricant de toilettes ? Comment ces propriétaires peuvent-ils concilier liberté de l’information et intérêts privés ? Comment TF1, BFM-TV, Le Monde, Libération peuvent-il produire en toute indépendance des enquêtes sur le secteur de la téléphonie, quand leurs propriétaires sont les patrons de Free, Bouygues Telecom et SFR ? Comment les journalistes du Figaro peuvent-ils porter un regard critique sur la politique de défense de la France, quand le propriétaire de leur journal vend des avions de chasse à l’État français ?
En quoi ces questions nous concernent tous ?
On pourrait se dire que chaque société a les médias qu’elle mérite. Ou que chacun lit, écoute, regarde ce qu’il veut. Que tout le monde peut faire son propre tri dans le flot médiatique. Sauf que les médias ne sont pas un marché comme un autre. Défendre l’indépendance de la presse, ce n’est pas un combat « corporatiste », un « truc de journalistes » qui se battraient pour leur outil de travail. Il ne peut pas y avoir de démocratie forte, voire même de démocratie tout court, sans citoyens informés, et bien informés. L’information est un bien public. Autant de médias sous contrôle d’une petite oligarchie, véritables chiens de garde du capitalisme, c’est une atteinte à nos libertés fondamentales.
Quelles sont les idées de Bolloré ?
Il s’inscrit clairement dans une droite d’inspiration maurassienne, acquise à un catholicisme traditionnel et à une vision de la France comme un pays menacé par la présence en son sein d’étrangers inassimilables. Une partie des médias de Vincent Bolloré peuvent ainsi être considérés comme le trait d’union entre une extrême droite qui a triomphé entre la Belle Époque et la période collaborationniste, et le retour en force du discours xénophobe aujourd’hui.
Le vocabulaire qu’ils utilisent rappelle lui-même l’histoire du journalisme d’extrême droite. D’une période à l’autre, seule l’identité de l’ennemi de l’intérieur a changé : beaucoup d’éditorialistes de CNews ou du JDD sont obsédés par la défense d’une nation blanche et chrétienne, mais, dans leur imaginaire, la haine des musulmans a remplacé la haine des juifs.
Après le rachat de Canal+, c’est au tour d’I-Télé de voir son avenir mis en péril. Après une grève de plus d’un mois et le départ des trois quarts de sa rédaction, la chaîne d’information en continu est rebaptisée CNews et se transforme en média low-cost, qui privilégie les commentaires en plateau (peu coûteux) plutôt que le reportage et le travail de terrain. Mais très vite la ligne éditoriale évolue et la chaîne accueille de manière de plus en plus systématique les idées et éditorialistes d’extrême droite, à l’image d’Éric Zemmour qui obtient une émission quotidienne à partir de 2019. Les audiences, d’abord confidentielles, n’ont cessé d’augmenter à mesure que la ligne éditoriale se radicalisait. En 2024, CNews est même devenue la chaîne d’information la plus regardée devant BMF-TV.
En quelques années, Bolloré a ainsi réussi à subvertir les valeurs et l’identité du groupe Canal+ dont les chaînes revendiquaient un esprit plutôt contestataire et critique.
Il a poursuivi ensuite avec Europe 1 et plus encore avec le Journal du Dimanche (JDD). Pour reprendre cet hebdomadaire, mais aussi Paris Match et les magazines du groupe Prisma, plus encore que CNews et Europe 1, le JDD représente le modèle presque parfait de la méthode Bolloré : alors qu’il s’agissait d’un titre modéré et réputé proche du pouvoir, l’arrivée du catalogué extrême droite Geoffroy Lejeune a la direction, a marqué une inversion immédiate de la ligne éditoriale.
Il faut bien mesurer le basculement qui s’est opéré dans l’univers des médias français en moins d’une décennie. Jamais dans notre histoire les thématiques de l’extrême droite n’avaient été portées par des médias si nombreux et si complémentaires, puisque Bolloré est présent dans la presse écrite, dans la radio, dans la télévision, mais aussi dans l’édition, la communication, la musique ou le cinéma.
Il vient également de vendre Paris Match à Bernard Arnault (LVMH) hebdomadaire politique à dimension « people ». Paris Match est un outil à nul autre pareil pour espérer conquérir le pouvoir, comme l’ont compris tous les présidents et presque tous les présidentiables depuis de Gaulle.
La « bollorisation » des médias et des esprits : de quoi s’agit-il ?
L’influence idéologique de Vincent Bolloré s’exerce désormais bien au-delà des médias qu’il possède. Beaucoup de journaux qui ne lui appartiennent pas sont ainsi mis en valeur sur les plateaux de CNews et C8 : des titres comme Causeur, L’Incorrect, Boulevard Voltaire ou Livre Noir, bénéficient d’une exposition immense alors même que leurs audiences sont assez modestes.
Cette « bollorisation » passe aussi par un combat culturel, qui est à la fois une bataille lexicale et une bataille des imaginaires où le vocabulaire de l’extrême droite se trouve banalisé et normalisé. Le meilleur exemple est sans doute l’expression « Grand remplacement », qui s’est réinstallée dans l’espace médiatique après une invitation de l’essayiste d’extrême droite Renaud Camus sur le plateau de CNews, le 31 octobre 2021. Ce concept complotiste était pourtant rejeté par les grands médias ces dernières années, notamment depuis l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande, puisque l’un des tueurs avait pris pour référence l’écrivain français.
La crise politique que nous vivons prouve en elle-même la réussite du combat civilisationnel mené par Vincent Bolloré.
Retour sur la méthode Trump face aux médias
Trump a en effet gagné, non pas malgré sa haine des journalistes, mais parce qu’il l’a si bien mise en scène, qu’ils sont devenus, aux yeux de ses électeurs et électrices, ces « salauds de corrompus » qu’il dénonçait. Il les a essorés en saturant la campagne de mensonges, fake news et autres saillies clownesques. Il les a insultés et les a menacés de s’en prendre à leurs sources, de surveiller leurs mails et leurs téléphones, voire de les emprisonner, de les empêcher de couvrir les manifestations, de leur interdire l’accès à la Maison-Blanche, de privatiser les chaînes de radio et de télé publiques, et de retirer les autorisations d’émettre aux médias qui lui déplaisent. Il les a dédaignés en s’adressant aux influenceurs acquis à sa cause, capables de diffuser ses messages à de gigantesques audiences. Il leur a préféré les réseaux sociaux, dont il savait pouvoir manipuler les algorithmes. « You are the media now », a d’ailleurs tweeté Elon Musk, patron du réseau social X, le jour de sa victoire, pour marquer le début d’une nouvelle ère.
Que devrait-on attendre du travail journalistique et des médias ?
« La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat », écrivait la philosophe Hannah Arendt en 1967. Le travail journalistique, fondé sur la rigueur et l’honnêteté, est la garantie du lien de confiance avec les lecteurs et les lectrices. Les informations vérifiées, à la différence des commentaires engorgeant les réseaux sociaux, peuvent changer le cours de l’Histoire ; elles peuvent aussi aider à lutter contre la confusion, telle qu’elle est propagée par les influenceurs, en donnant du sens au monde tel qu’il est.
La mission d’intérêt public des journalistes est de rendre aux citoyens et aux citoyennes ce qui leur revient en droit dans un régime démocratique, c’est-à-dire donner des informations sur celles et ceux qui prennent des décisions en leur nom.
Nous venons d’apprendre que l’École supérieure de journalisme de Paris (ESJ Paris) a été rachetée par plusieurs hommes d’affaires, dont les milliardaires et patrons de presse Vincent Bolloré et Bernard Arnault réputés pour leur conservatisme et leur proximité avec les sphères d’extrême droite. De quoi élargir leur pouvoir d’influence en formatant de futures générations de journalistes en France !
Propos racistes, discriminatoires, infractions aux temps de parole des politiques, désinformation, tout ceci mené sans contradiction sur des plateaux d'un brun monochrome, c'est la ligne éditoriale des chaînes de Bolloré. De 2019 à 2021 les outrances racistes de Zemmour s'enchaînent. Sur CNews c'est un chroniqueur qui affirme que « les musulmans se foutent de la république et ne savent pas ce que le mot veut dire ». Sur C8, c'est Hanouna qui insulte un député pour protéger les intérêts de Bolloré ou qui colporte de la désinformation complotiste sur un réseau de personnalités haut placées qui kidnapperaient des enfants pour boire leur sang.
CNews écope de la plus importante sanction financière jamais infligée à une chaîne d'info. 200 000€ pour les propos ignobles de Zemmour à propos des mineurs isolés : « Ils sont voleurs, ils sont assassins, ils sont violeurs. C’est tout ce qu’ils sont ! ». Ce dernier épuisera tous les recours et ira jusqu'à la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme), une institution qu'il honnit pourtant. Sans succès : la sanction sera confirmée.
Ceci n'empêchera pas la chaîne de maintenir Zemmour à l'antenne, malgré la fuite des spots publicitaires autour de son émission, malgré les sanctions qui s'empilent. Jusqu'à ce que Bolloré transforme Zemmour en présidentiable et le pousse à se présenter.
Comment instrumentaliser les foules, comment tenter de les aveugler ?
« La puissance des mots est si grande qu'il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses » écrivait à la fin du XIXe siècle l’anthropologue d’extrême droite Gustave Le Bon dans son célèbre livre « Psychologie des foules ». Surviendrons au cours de décennies suivantes deux guerres mondiales avec leurs montagnes de cadavres, et à répétition sur la planète, les crimes contre l'humanité, les crimes de génocide.
Un témoin des crimes du nazisme qui était un linguiste, un spécialiste des mots, Victor Klemperer, va témoigner de « cette acceptation des choses les plus odieuses » dans son ouvrage « LTI, la langue du IIIe Reich ». Victor Klemperer, allemand, réussissant à survivre alors qu'il était juif sous le nazisme, va noter tout ce qui sera fait par la radio, par les tracts, par les prospectus pour banaliser des mots qui vont permettre que la barbarie surgisse au cœur de la civilisation. Il écrit : « Les mots peuvent être de minuscules doses d'arsenic, on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet et voilà qu'après quelque temps, l'effet toxique se fait sentir ».
Aucune nation ne naît raciste, ne naît meurtrière, mais nous savons que le fait de se proclamer civilisé, cultivé, développé, ne suffit pas à garantir que nous ne basculions pas dans la barbarie. C’est donc cette énigme : comment des peuples cultivés, civilisés, éduqués, peuvent devenir des peuples indifférents à l'humanité ?
Concernant les mots utilisés dans les médias de ces milliardaires français, il n'y aurait qu'un peuple déterminé par le sang, le sol, par son identité qui serait immobile, qui serait enracinée. Comment ces forces de l'inégalité des droits, qui sont non seulement des forces politiques, mais aussi des forces idéologiques, qui ont des intellectuels, qui ont des penseurs, qui croient qu'on est inégaux par nature, qu'il y a des civilisations supérieures à d'autres, des origines supérieures à d'autres, des croyances, des apparences, des sexes, des genres supérieurs à d'autres, comment réussissent-elles à s’imposer, pas seulement en France, mais un peu partout dans le monde, comme des pensées légitimes ?
L'obsession de l'immigré, l'obsession de l'étranger, l'obsession de l'ailleurs, l'obsession de l'autre, c'est le cheval de Troie pour faire tomber l'égalité des droits. Trump n’a cessé de l’utiliser dans sa campagne annonçant qu’il expulserait 10 millions d’immigrés, dont parmi eux les Haïtiens qui mangent les animaux de compagnie des braves gens !
Et en France depuis 50 ans, c'est la question migratoire qui est présentée comme la question centrale, la mère de tous les maux de la société, alimentant journellement tous les médias, justifiant une quarantaine de lois sur « l’immigration ». Car c'est ainsi que tout commence. Contre l'égalité, que va-t-on opposer ? L'identité. L’étranger serait une menace pour l'identité. Et on va commencer à dire qu’il est normal qu'il y ait des « ayants droit » et des « sans droits » et de là, on va commencer à mettre en cause des droits fondamentaux : s'il y a des droits fondamentaux, il y a un droit à la santé. C'est un droit qui est au-dessus de l'origine. Il y a un droit à l'éducation, c'est un droit qui est au-dessus de l'origine. Eh bien non, on va commencer à parler de l’aide médicale d'État : certains ont droit à la santé, d'autres n'ont pas le droit à la santé. On va commencer à dire pour les mineurs non accompagnés : « Tant pis », et ils n'ont pas le droit à l'éducation, alors qu’il y a des droits fondamentaux, droits de l'enfance, droits de l'humanité.
Plus les médias aux ordres d’une idéologie conservatrice et d’extrême droite font de l'obsession de la question migratoire, de la question de l'étranger le dérivatif à nos enjeux sociaux, démocratiques, écologiques, plus ils font le lit de la banalisation des discours de haine, plus ils préparent les pires atrocités.
Ces médias de masse, radio et télévision, ces médias que l'on ne choisit pas d'acheter, qu'on ne choisit pas de lire, qu'on ne choisit pas d'écouter, mais qui s'imposent à vous parce qu'ils sont gratuits et qu'ils sont sur des véhicules techniques qui les rendent accessibles à tous. Ce sont les canaux hertziens, ce sont des biens publics. Ces médias de masse qui détruisent, au prétexte de la liberté d'opinion, la vérité de fait. Aujourd'hui, le travail d'information a pour adversaire le droit de dire, de tout dire, y compris le pire, y compris l'abject.
En démocratie, il ne devrait pas être possible de laisser exister des médias de masse (radio et télévision) en accès libre sur des biens publics, qui soient des médias d'opinion et en l’occurrence le véhicule d’idéologies inégalitaires, excluantes et totalitaires.
Sur ces risques, le journaliste Edwy Plenel écrit très justement à ce sujet : « Au risque d’effrayer, si nous ne réagissons pas à cela, si nous laissons faire cela, nous permettons la possibilité qu'advienne un jour une sorte de Radio des Mille Collines. Un an avant le génocide au Rwanda, un milliardaire (arrêté il y a quelque temps en France où il se cachait), qui était le financier du génocide, a créé cette radio dans un contexte de transition politique, en disant : « Il faut qu'il y ait la liberté de dire, la liberté d'opinion », et les statuts de Radio des Mille Collines se revendiquent de cette liberté d'expression.
Bref, disait-il, nous allons créer un média moderne où tout le monde pourra s'exprimer. Il a beaucoup d'argent, il a beaucoup d'émetteurs, il met de la très bonne musique, notamment du Zaïre, avec de très bons animateurs, de très bons tchatcheurs qui parlent bien et qui ont du bagout, mais le résultat final sera résumé, puisque ce média voit le jour en juillet 1993 et que le génocide a lieu moins d’un an plus tard, ainsi : « Le génocide, c'est une machette dans une main, un transistor dans l'autre ». C’est sur Radio Mille Collines qu'on va parler des cafards, que l'on va déshumaniser les Tutsis, que l’on va prendre ces mots qui vont faire que des gens qui ne sont pas des criminels par nature, vont tuer leurs voisins, voire une partie de leur famille, voire leurs coreligionnaires, pendant quatre mois, jusqu'à entre 800 000 et un million de morts. « Radio Mille Collines », une radio d'opinion ! »
En conclusion provisoire de ce long article, nous prétendons que les idées qui violent le principe d'égalité naturelle, qui violent les droits fondamentaux, n'ont pas droit de cité comme des idées comme les autres. Ce ne sont pas des idées comme les autres, ce sont des idées potentiellement meurtrières.
Lectrices, lecteurs, voici à partir de ce que nous ont révélé les élections américaines, quelques réflexions par ricochet sur les médias et les milliardaires en France qui les détiennent et les risques que font courir cette concentration des sources d’information subordonnées à une idéologie de plus en plus d’extrême droite. A vous de nous dire ce que vous en pensez…
Jean-Paul Gady
Sources : Le Monde diplomatique, Médiapart, Acrimed, L’Humanité