Lettre ouverte à M. Étienne Desplanques, préfet de la Corrèze
- 20 janvier 2025
Nous vous communiquons ci-dessous une lettre ouverte au Préfet de Corrèze émanant d’associations du Plateau de Millevaches qui accueillent les personnes exilées et s’opposent aux assignations et expulsions en mettant en place « un droit d’asile local afin qu’il n’y ait pas d’expulsion sur la Montagne limousine ». Ainsi dans la nuit du 26 au 27 décembre dernier, plusieurs dizaines de personnes se sont retrouvées à Tarnac pour signifier aux gendarmes qui venaient chercher un jeune homme accueilli là, qu’elles s’y opposaient et qu’elles ne les laisseraient emmener qui que ce soit. Ce fut chose faite.
Bonne lecture, Jean-Paul Gady
Monsieur,
Le 6 avril 2024 vous êtes venu à Tarnac pour inaugurer une stèle en mémoire des fusillés et déportés de 1944. « N’oublions jamais », peut-on lire sur cette stèle devant laquelle vous vous êtes solennellement recueilli. À une centaine de mètres de là, quelques mois plus tard, le 27 décembre à 4h du matin, vous avez dépêché plusieurs gendarmes afin d’embarquer Monsieur A. Sediq, résident du bourg, avec pour mission de l’emmener jusqu’au consulat d’Égypte à Marseille où lui aurait été délivré un laissez-passer en vue de son expulsion. Nous nous sommes opposés à cette opération et l’avons empêchée. Forcer, par la contrainte physique et sous la menace des armes, une personne à quitter son lieu de vie alors que sa présence ne nuit en aucune manière à qui que ce soit, est une atteinte fondamentale à la dignité humaine. Y résister et s’y opposer est pour nous un devoir moral.
Nous l’avons déjà exprimé, notamment en 2018 lors de la tentative d’expulsion vers le Soudan d’un camarade creusois et le réaffirmons aujourd’hui : il n’y aura pas d’expulsion sur la Montagne limousine. Quand nous disons « il n’y aura pas d’expulsion sur la Montagne limousine », cela signifie que nous mettons nos actes en cohérence avec nos paroles, et que par tous les moyens que nous jugeons nécessaires et justes, nous nous opposerons aux tentatives d’expulsion depuis ce territoire où nous vivons. « Terre de résistance » avez-vous dit pour qualifier la Corrèze lors de votre discours d’installation en août 2022. Sachez que pour nous, la résistance ne se cantonne pas à quelques pages des manuels d’histoire, ni ne s’enterre sous la pierre des monuments officiels.
Ceux qui élaborent les « politiques migratoires » européennes, comme ceux qui les exécutent, portent sur leur conscience les morts, par dizaines de milliers, de nos sœurs et frères humains qui n’ont commis pour seuls crimes que de naître de l’autre côté de la Méditerranée et d’avoir voulu la traverser. Dans quelques décennies, vos successeurs pourraient déposer des gerbes en leur mémoire sur les plages et proclamer la main sur le cœur « N’oublions jamais ».
Monsieur le préfet, votre fonction ne vous oblige en rien à distribuer à tour de bras des OQTF dans le département, à assigner à résidence des personnes innocentes, à les expulser de leur domicile, de leur village où elles ont noué des relations et des amitiés. Votre fonction ne vous oblige en rien à étouffer toute considération pour la dignité humaine. Votre fonction vous permet aujourd’hui d’annuler l’OQTF prononcée contre Monsieur A. Sediq et de lui donner la chance de vivre en France puisque c’est le pays qu’il a choisi de rejoindre, empli de projets d’avenir et d’espérances.
La situation nous oblige à prendre nos responsabilités. Nous le faisons en accueillant les personnes exilées que les parcours chaotiques ont menées jusqu’à la Montagne limousine. En leur offrant un hébergement, en leur permettant l’accès aux soins, à l’apprentissage de la langue française, à une scolarité, à une formation. Monsieur A. Sediq est compagnon de la communauté Emmaüs de la Montagne limousine, il y est pleinement intégré. Vous avez reçu le 26 décembre une lettre du directeur d’Emmaüs France sollicitant une mesure de clémence et vous demandant d’interrompre la procédure d’expulsion, il y dit notamment son attachement aux « dynamiques de fraternité », bases de l’éthique d’Emmaüs pour un accueil inconditionnel des personnes les plus démunies.
Dignité, Liberté, Égalité, Fraternité : si ces mots-là résonnent quelque part en vous, nous vous demandons, Monsieur le préfet, de prendre vous aussi vos responsabilités, en annulant cette mesure d’expulsion.
Signataires :
Le Syndicat de la Montagne limousine, L’association Montagne Accueil Solidarité d’Eymoutiers, L’association la Cimade d’Eymoutiers, L’association la Cimade de Peyrelevade, L’association Le MAS Montagne limousine Accueil Solidarité, L’Emmaüs Montagne limousine, Corrèze solidarité.