Inégalités sociales et écologiques en France
- 5 mai 2025
Avec la mort de Jorge Mario Bergoglio dit « le pape François », nous venons de prendre pendant 2 semaines une overdose de papolâtrie…et ce n’est pas fini avec le conclave qui démarre le 9 mai ! Nous n’allons pas avec ce supplément en rajouter dans les analyses et commentaires, mais promis juré, nous vous réserverons plusieurs articles dans le numéro 33 de La Pensée Libre qui sortira début juillet, en particulier sur la laïcité foulée aux pieds à l’occasion de la mort de cet homme.
Afin de vous débrancher de Rome et accompagner ces premiers jours du printemps, nous avons souhaité vous présenter un ouvrage qui vient d’être publié en mars dernier sous le titre : Les riches contre la planète, violence oligarchique et chaos climatique*
« L’écologie n'est pas ce qui nous rassemble mais ce qui nous sépare. D'un côté, une oligarchie prédatrice se met soigneusement à l'abri du désastre. De l'autre, l'immense majorité du vivant est toujours plus exploitée et exposée ». Ainsi est présenté en 4e de couv ce livre de l'éminente sociologue Monique Pinçon-Charlot.
À partir d'une trentaine d'études de cas, elle livre l'impitoyable démonstration de la collusion entre élites politiques et industries polluantes et détaille avec brio les roueries de l'oligarchie pour maximiser ses profits tout en saccageant la planète. Face aux fausses promesses de la « transition écologique », elle oppose des arguments fondés sur des exemples concrets, comme autant de pièces d'un puzzle diabolique. Ce livre détonateur à l'argumentaire radicalement anticapitaliste est le premier parmi tous ses ouvrages où l’autrice se penche sur le thème du chaos climatique. Parmi la trentaine de cas étudiés, nous en avons choisi un que nous reproduisons ci-dessous.
Un livre argumenté et percutant que nous vous conseillons vivement.
Jean-Paul Gady
*Monique Pinçon-Charlot Les riches contre la planète, violence oligarchique et chaos climatique, Edition Textuel, 2025, 190p
Inégalités sociales et écologiques en France
Tous les records de chaleur ont été battus lors de l'été 2024. À l'échelle planétaire, l'année 2024 est annoncée comme la plus chaude jamais enregistrée, avec même pour la première fois le dépassement du seuil de 1,5 °C de réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle qui constituait pourtant l'objectif le plus ambitieux de l'accord de Paris en 2015, selon l'observatoire européen Copernicus1. Si ce seuil devait perdurer ou s'aggraver, les dégâts liés au changement climatique décupleraient avec notamment un réchauffement à 3,1 °C à la fin du siècle. Or l'année 2023 avait déjà été à la fois marquée par des canicules, des feux géants, des inondations, des écroulements de pans de montagne dans les Alpes liés à la décongélation du pergélisol et par des profits gigantesques pour les actionnaires des multinationales des énergies fossiles. Le bénéfice net de TotalEnergies est cette année-là le plus important de son histoire, avec 19,81 milliards d'euros, soit une hausse de 4 % par rapport à 2022 : les actionnaires ont été récompensés sous forme de dividendes ou de rachat d'actions, au lieu que ces bénéfices soient réinvestis pour le climat. Ces cadeaux financiers sont ainsi trois fois supérieurs aux investissements de la major française pour les énergies renouvelables, comme l'éolien ou le solaire2. Le rachat de ses propres actions par l'entreprise TotalEnergies constitue un des indicateurs de la conscience de ses dirigeants que les énergies fossiles sont toujours plus rentables que les énergies renouvelables.
Cette explosion des dividendes et des rachats d'actions concerne, de plus, toutes les entreprises du CAC 40, avec un bénéfice total de 143 milliards d'euros, dont 97 milliards pour les actionnaires, soit une progression de 21 % par rapport à 2022. En 2024 c'est un nouveau record avec 100 milliards. Le coût du capital est la cause principale de la misère des membres des classes laborieuses et cela peut durer encore longtemps avec les soutiens politiques dont bénéficient les capitalistes au plus haut sommet de l'État. Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, né à Neuilly-sur-Seine, ancien élève de l'ENA, marié à Pauline Doussau de Bazignan, dont la famille bénéficie de plusieurs mentions dans le Bottin mondain de 2020, a annoncé, par décret, le 22 février 2024, une coupe, imprévue dans le budget 2024, de 10 milliards d'euros. Cette nouvelle tombe deux mois après le vote de ce budget, grâce à l'article 49-3 de la Constitution et donc sans passer par le Parlement. Le ministère de l'Écologie se voit supprimer 2,2 milliards d'euros, dont 1 milliard pour le dispositif « Ma prime Rénov » conçu pour aider les propriétaires à financer des travaux d'isolation thermique, à un moment où les défis du chaos climatique exigent la protection énergétique de tous. Le budget de l'Éducation nationale est lui amputé de 1,6 milliard d'euros. L'austérité pour les plus démunis est encore confirmée par une coupe sévère de 742 millions d'euros de l'aide de la France pour le fonds de l'Association internationale de développement (AID) qui est réservé aux 75 pays les plus pauvres de la planète. Soit 2,5 milliards d'êtres humains3.
Mais bien entendu, pas question de réhabiliter l'impôt de solidarité sur la fortune ni de supprimer les avantages fiscaux pour les revenus du capital, mesures extrêmement favorables aux plus riches accordées par Emmanuel Macron dès son arrivée à l'Élysée, en 2018. Et pourtant, ces cadeaux fiscaux contribuent largement au déficit public de la France. Quant au projet de budget 2025, avec 60 milliards d'économies essentiellement sur le dos des classes laborieuses, que le gouvernement voulait régler avec un nouveau 49-3, il a été balayé par la censure. Les multinationales des énergies fossiles bénéficient du soutien des plus grandes banques et donc de leurs actionnaires reconnaissants. Ainsi, les cinq premières banques françaises ont doublé leurs investissements financiers entre 2015 et 2020, passant de 45 à 86 milliards de dollars, selon l'ONG Oxfam. Bien que ces investissements aient depuis diminué, BNP Paribas, première banque de la zone euro par les actifs, recule ainsi de la 3e à la 9e place au classement mondial des principaux financiers de TotalEnergies, Shell ou BP, selon Lucie Pinson, directrice de l'ONG Reclaim Finance qui relève toutefois, le 7 novembre 2024, l'enregistrement depuis 2021 de 982 transactions des 20 plus grandes banques européennes avec les principales entreprises de l'expansion pétrogazière. Mais à partir de 2025, les banques seront tenues de publier leurs plans de transition, avec l'arrêt du financement de l'expansion pétrogazière, et l'espoir de leur validation après des contrôles obligatoires4. Lucie Pinson regrette toutefois qu'aucune banque française « n'ait tourné le dos aux nouveaux terminaux de gaz naturel liquéfié (GNL) que l'Agence internationale de l'énergie considère pourtant incompatibles avec une trajectoire de limitation du réchauffement climatique à 1,5 °C ».
La guerre en Ukraine, depuis février 2022, a favorisé à l'échelle de la planète de nouveaux projets de terminaux d'exportation de GNL avec le soutien des banques et des investisseurs financiers. C'est une catastrophe pour le climat, voire « des bombes climatiques » avec la probabilité de 10 milliards de tonnes de gaz à effet de serre émises d'ici 2030. « Ces projets polluent sur l'ensemble de la chaîne. L'extraction du gaz est associée à des fuites de méthane (qui constituent environ 90 % de la composition du GNL), un gaz à effet de serre plus de 80 fois plus puissant que le CO2 à un horizon de vingt ans. Sa liquéfaction (pour le refroidir à -162 °C), son transport sur des méthaniers et sa regazéification sont gourmands en énergie. Enfin, l'utilisation du GNL émet du CO25 » précise Audrey Garric, journaliste au Monde. La France a quatre terminaux méthaniers à Dunkerque, à Montoir-de-Bretagne près de Saint-Nazaire et deux à Fos-sur-Mer.
La mobilisation de la classe dominante à l'heure où la France est confrontée aux déluges du climat est impressionnante par le nombre de champs de bataille qu'elle est capable de développer afin d'encaisser toujours et encore plus d'argent avec le gaz, une énergie fossile présentée comme la moins polluante. Ce ne sont pas simplement les actionnaires de ces sociétés liées aux énergies fossiles qui s'enrichissent, mais l'ensemble des familles de la classe dominante. Entre 2013 et 2023, la fortune cumulée des 500 plus grandes fortunes de France a été multipliée par trois. Et c'est avec 1200 milliards d'euros, selon les palmarès de Challenges de 2024, que les plus riches crient « cocorico » ! Les cinq premières fortunes, les familles Arnault, Hermès, Wertheimer, Bettencourt-Meyers, Saadé (Rodolphe) ont été multipliées par cinq depuis l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Élysée, passant de 112 milliards en 2017 à 576 milliards en 2023. La spirale de la concentration des richesses aboutit à ce que les 10 % les plus riches de France détiennent la moitié des actifs qui financent l'économie.
Le mot même d'inégalités n'est plus approprié quand on est face à des fossés qui séparent de manière infranchissable les classes moyennes et populaires de la classe des possédants. « Si une personne avait gagné 2 millions d'euros à chaque édition du Loto depuis l'armistice de 1918, elle n'aurait même pas la moitié de la fortune de Bernard Arnault ! » selon le rapport d'Oxfam publié à l'occasion du 23e Forum économique de Davos, en janvier 2023. Quel que soit l'angle d'attaque, les riches sont toujours en tête des palmarès et les pauvres dans les bas-fonds. Y compris dans le palmarès des pollueurs. Les ultra-riches émettent en France plus de 200 tonnes de gaz à effet de serre par an et par personne en France quand la moyenne de tous les Français est de 9 tonnes. Ce qui est encore trop, puisque selon le GIEC, il faudrait n'émettre d'ici à 2050, que 2 tonnes de CO2 par an et par personne pour pouvoir contenir le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius6.
Les riches, des pollueurs en chef ? Vous faites erreur. Grâce à l'intelligence artificielle et aux nouvelles technologies, ils se présentent et se vivent comme les sauveurs de la planète ! Plutôt qu'exploiteurs, ils se sont bien autodéclarés créateurs de richesses et d'emplois. Mais les mots peuvent-ils supprimer les maux ? Selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), il y a 9,1 millions de pauvres en France, c'est-à-dire de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté, à 60 % du niveau de vie médian, soit 1216 euros par mois. On est donc loin des discours d'Emmanuel Macron, en 2018, qui promettait l'éradication de la grande pauvreté. Dans le dernier rapport sur la pauvreté publié le 3 décembre 2024 par l'Observatoire des inégalités, la précarité énergétique, l'impossibilité de pouvoir partir en vacances, des emplois épuisants et sous-payés, l'angoisse des lendemains et la peur de la descente aux enfers, font le terreau de l'extrême droite. L'effondrement est déjà le quotidien de millions de personnes qui ne peuvent pas comprendre la critique de la surconsommation et de modes de vie dont ils rêvent.
La fin du mois et la fin du monde sont donc étroitement entremêlées. « L'écologie sans la lutte des classes, c'est du jardinage », selon la formule délicieusement efficace de Chico Mendes, leader syndical brésilien.
Le capitalisme est devenu incompatible avec le futur pour tous sur la planète. Les guerres géopolitiques se multiplient. Raison de plus de nous unir toutes et tous pour tracer les perspectives d'une autre humanité.
Monique Pinçon-Charlot
1 « 2024 sera bien la première année au-dessus du seuil de 1,5 °C de réchauffement par rapport à l'ère préindustrielle » Le Monde, 9 décembre 2024.
2 Adrien Pécout, « TotalEnergies réalise le plus gros bénéfice net de son histoire », Le Monde, 7 février 2024.
3 Julien Bouissou, « Les pays riches coupent dans leurs budgets d'aide au développement », Le Monde, 3 mai 2024.
4 Reclaim Finance, rapport "European banks and transition : Time for a reality check", novembre 2024, en ligne sur le site reclairnfinance.org.
5 Audrey Garric, « L'expansion du gaz naturel liquéfié, une "bombe climatique" potentielle, alimentée par des investissements financiers » Le Monde, 6 décembre 2024
6 Hervé Kempf et Juan Mendez, « Comment les riches ravagent la planète, et comment les en empêcher », Seuil, 2024, p. 78-79.